« La publicité. »
Il avait semblé décontenancé par la question, mais s'était vite repris.
« Vous êtes conscient que la publicité ne fait vivre que Google et Facebook ? » continua l'un des membres du jury.
« Oui tout à fait. Mais n'ont-il pas été de petites start-ups à leurs débuts aussi ? », renchérit le jeune homme.
« C'est une façon de voir les choses. Mais votre projet, bien qu'étant bon, ne pourra pas mobiliser suffisamment de monde. »
C'était le troisième pitch que le jury évaluait. Et le troisième à se voir reprocher un business model non réaliste. C'était bientôt mon tour, et je commençai sérieusement à douter... Je détournai mon attention de la scène un instant pour me replonger dans mes notes. Je recherchai la partie sur les finances parmi les impressions de mes slides. C'était maigre, vraiment maigre. Comment j'avais pu penser que mes quelques tableaux financiers allaient suffire ? Il me fallait quelque chose de plus concret, de plus appliqué. Quelque chose qui trouverait un écho chez le jury.
« Suivant ! »
Un jeune homme assis derrière moi se leva et alla se placer devant le jury.
« Bonjour. Alors voyons voir. »
Le jury était composé de trois hommes, et une femme. Business angels, chefs d'entreprises, investisseurs, ils faisaient tous partie du milieu. L'homme qui présidait le jury s'empara d'un dé qu'il lança sur la table. Sur les six faces, des durées en minutes. 1, 3, 5, 10, 15 et 20. Ce sont les règles du jeu ici : le dé vous annonce combien de temps vous avez pour pitcher. A chaque durée correspondent des heures d'entraînement, des textes différents, des slides différentes, un rythme différent. Mais les questions restent en général les mêmes.
« Vous avez trois minutes. Installez-vous et nous vous écoutons. »
Le concept avait été imaginé par un blogueur qui avait trouvé ça « challenging » comme il disait. Il n'avait bien sûr jamais eu à pitcher lui-même. C'était beaucoup plus drôle de regarder les autres le faire j'imagine.
Tandis que la présentation commença, je replongeai dans mes slides. J'avais tout misé sur la présentation longue de 20 minutes. Des tas de schémas, des images, des tableaux. J'avais beaucoup de choses à dire. Mais j'avais besoin de temps pour convaincre... Pitcher en quelques minutes était un exercice auquel je m'étais soumis mais qui ne m'enchantait guère. Je doutais beaucoup trop de mon idée pour avoir la force de persuasion nécessaire à convaincre aussi rapidement. Plus je parcourais mes slides, et plus mon texte se mélangeait dans ma tête. Je n'arrivais plus à distinguer quelle explication correspondait à quelle durée de pitch. Je décidai de refermer tout ça et de faire confiance à mon instinct. Et à mon entraînement.
« Suivant ! »
Il me fallut quelques secondes pour réagir. Je m'étais perdu dans mes pensées. Les trois minutes venaient de s'écouler. Je regardai l'écran, lus le titre de la start-up qui venait d'être présentée, regardai la feuille du programme, et lus avec timidité le nom suivant... C'était mon tour.
Je me levai doucement, faisant au passage tomber les feuilles par terre. Je les ramassai en vitesse, et m'avançai vers le jury.
« Bonjour. »
J'essayai de me convaincre que mon discours était bien rôdé, et que le pratiquer devant ma glace ou devant des gens étaient la même chose.
Je parcourus la salle du regard. L'audience était composée uniquement de jeunes entrepreneurs. Certains relisaient leurs slides, anxieux, avant de passer. D'autres semblaient plus soulagés. Et d'autres avaient visiblement subi les remarques du jury de plein fouet. Mon regard s'attarda sur le fond de la salle. Un homme était assis dans le coin, au fond à gauche. Il me regardait avec insistance. Il était chauve, portait des lunettes à monture épaisse et un costume visiblement cher. J'avais déjà vu cet homme, à plusieurs reprises. J'en étais certain.
« ... minutes ».
Les paroles du président du jury me sortirent de mes pensées.
« Je vous demande pardon ? » demandai-je.
« Vous avez une minute. »